22/23 novembre 2019 - Plongée au cœur d'un épisode cévenol
Posté : jeu. mai 07, 2020 21:32
Bonsoir à tous !
Le retour du forum m’a motivé à enfin écrire le récit de 24h qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Plus qu’une chasse photographique, c’est en véritable catharsis émotionnelle que s’est mu cet épisode cévenol particulier pour moi. Je fais le pari de vous présenter un long récit avant tout écrit, au propos probablement assez inhabituel sur ce site, mais illustré au maximum des quelques clichés que j’en ai rapportés.
--
L’été s’est estompé et l’immense chaleur accumulée par la Méditerranée, telle une bombe à retardement, attend une configuration favorable pour se libérer.
Ainsi, le creusement d’une dépression (nommée Cecilia) au large de la France le 22 novembre 2019 met en place les ingrédients propices à l’avènement d’un épisode méditerranéen intense. Les prévisions annoncent des pluies diluviennes sur les Cévennes, dont le maximum sera atteint dans la nuit du 22 au 23 novembre, avant de continuer d’évoluer jusqu’en Italie, occasionnant à leur passage de nombreuses inondations et résultant dans le décès de six personnes.
De mon côté, je m’intéresse à cet épisode, ayant en tête l’idée d’aller dans les hauteurs cévenoles, au cœur de cette démonstration de puissance de la nature, moteur de mes explorations artistiques de ces dernières années. De façon inexplicable, je ressens un besoin fort d’y aller, plus fort que mes peurs habituelles qui souvent me retiennent. L’aventure semble très risquée - le lieu où j’aimerais me rendre, proche du mont Aigoual (où le plus haut cumul du massif sera d'ailleurs relevé avec 193mm), se trouve au sein du zonage maximal du bulletin méditerranée de Keraunos - mais mon raisonnement est que le danger se situe surtout en vallée, où les ruissellements des reliefs se concentrent. Pour autant, je reste indécis durant l’après-midi du 22.
Le soir venu la tentation reste forte, mais je fais la route jusqu’à chez moi sans être plus résolu. C’est à mon arrivée que j’apprends le décès de ma grand-mère, qui s’est éteinte tranquillement à 96 ans après plusieurs années d’inexorable déclin dû à la maladie d’Alzheimer. Mon chagrin me décide : plus que le réconfort d’une soirée entouré de ma compagne et quelques amis, je ressens le besoin de partir me retrouver seul face à une nature dans son expression pure.
Je prends la route du Vigan et la pluie s’invite doucement. Montant dans les hauteurs, je ne tarde pas à être entouré d’un brouillard épais : je suis entré au sein du système nuageux dont le plafond est très bas. Me garant à proximité du parking du lac des Pises, et prenant soin de me placer en-dehors de potentiels ruissellements, je débute une nuit d’isolement, prisonnier dans ma voiture des pluies devenues abondantes. Seul avec mes pensées, je médite, joue de la guitare, écoute le martèlement de l’eau sur le toit, enveloppé des effluves d’une saucisse de Morteau aux lentilles… Mais la fatigue me rattrape et je m’endors, désormais bercé par le son de la pluie.
Je me réveille régulièrement dans la nuit, anxieux de vérifier l’état de la route sous mes pneus, et constate l’intensité de l’épisode, vague après vague de lames lourdes de pluies, espacées brièvement de relâchements que l’on pourrait difficilement qualifier d’accalmies. Parfois le son change et je devine la transformation de l’eau en grésil.
Au petit matin, je profite d’un moment favorable pour sortir et marcher jusqu’au lac, emballé dans mes protections imperméables. Le chemin est régulièrement inondé et j’abandonne rapidement l’espoir de garder mes pieds au sec.
Autour de moi, malgré le soleil levé depuis plusieurs heures, l’épaisseur nuageuse est telle qu’il semble faire nuit.
J’atteins la lisière de la forêt et me rend compte de l’utilité de cette dernière : elle bloquait le vent. Le lac en face de moi, direction sud-ouest, je suis désormais à découvert et prend de plein fouet la puissance venteuse du système. Le lac en témoigne : il est tumultueux, et se perd dans la brume. Je pourrais aussi bien être au bord d’un océan en pleine tempête.
Je m’attelle alors à filmer, plus que photographier, mon environnement. C’est très difficile, la quantité de pluie que je reçois étant démesurée, mais il naît en moi une idée au niveau créatif qui, je l’espère, se concrétisera un peu plus tard dans l’année.
Je reste au milieu de ce tumulte incroyable, chaque accalmie se manifestant par un éclaircissement de la brume. En l’espace de quelques secondes, le paysage réapparaît, avant d’être à nouveau noyé dans les épaisseurs tempétueuses. Je suis obligé de rester dos au vent entre chaque prise de vue, tant la pluie m'assaille sans relâche. Sa puissance est phénoménale et je lutte pour rester debout.
J’évolue ensuite tant bien que mal dans un paysage saturé d’eau, les contours du lac sans cesse apparaissant et disparaissant à ma gauche, fantomatiques.
J’explore la forêt et reviens à ma voiture. Je ressors en début d’après-midi et retourne au lac.
La violence des éléments s’est apaisée, et l’ambiance se transforme progressivement.
Les volumes du ciel réapparaissent, et le paysage immobile, comme n’osant provoquer une nouvelle colère, s’égoutte doucement de son eau abondante.
Enfin, les nuages se déchiquettent et pour la première fois de la journée - à environ 15h ! - j’ai la sensation de véritablement voir la lumière du jour.
Le soleil lui-même réapparaît et illumine d'une brillance nouvelle les volutes désorganisés qui désormais traînent calmement dans le ciel.
Les brumes encore accrochées aux reliefs s'embrasent, et la rage de la nuit passée semble déjà un lointain souvenir.
Je me sens profondément apaisé, la nature ayant déchaîné sa furie puis retrouvé son calme comme au diapason de mon être. Je repars avec la sensation peu rationnelle mais très puissante que la nature m’a communiqué quelque chose d’essentiel, catalysant par sa manifestation physique une catharsis intérieure intense et le deuil de ma grand-mère.
Merci de m’avoir lu, en attendant, je l’espère, de pouvoir à nouveau partager avec vous des histoires d’inspiration face à la puissance de la nature, ce qui, je le crois, est ce qui nous rassemble tous ici.
“En mémoire de ma grand-mère adorée, des Lindt et des Toblerone, de l'escalier en bois, de la chaufferie effrayante, du jardin aux roses.”
Le retour du forum m’a motivé à enfin écrire le récit de 24h qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Plus qu’une chasse photographique, c’est en véritable catharsis émotionnelle que s’est mu cet épisode cévenol particulier pour moi. Je fais le pari de vous présenter un long récit avant tout écrit, au propos probablement assez inhabituel sur ce site, mais illustré au maximum des quelques clichés que j’en ai rapportés.
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L’été s’est estompé et l’immense chaleur accumulée par la Méditerranée, telle une bombe à retardement, attend une configuration favorable pour se libérer.
Ainsi, le creusement d’une dépression (nommée Cecilia) au large de la France le 22 novembre 2019 met en place les ingrédients propices à l’avènement d’un épisode méditerranéen intense. Les prévisions annoncent des pluies diluviennes sur les Cévennes, dont le maximum sera atteint dans la nuit du 22 au 23 novembre, avant de continuer d’évoluer jusqu’en Italie, occasionnant à leur passage de nombreuses inondations et résultant dans le décès de six personnes.
De mon côté, je m’intéresse à cet épisode, ayant en tête l’idée d’aller dans les hauteurs cévenoles, au cœur de cette démonstration de puissance de la nature, moteur de mes explorations artistiques de ces dernières années. De façon inexplicable, je ressens un besoin fort d’y aller, plus fort que mes peurs habituelles qui souvent me retiennent. L’aventure semble très risquée - le lieu où j’aimerais me rendre, proche du mont Aigoual (où le plus haut cumul du massif sera d'ailleurs relevé avec 193mm), se trouve au sein du zonage maximal du bulletin méditerranée de Keraunos - mais mon raisonnement est que le danger se situe surtout en vallée, où les ruissellements des reliefs se concentrent. Pour autant, je reste indécis durant l’après-midi du 22.
Le soir venu la tentation reste forte, mais je fais la route jusqu’à chez moi sans être plus résolu. C’est à mon arrivée que j’apprends le décès de ma grand-mère, qui s’est éteinte tranquillement à 96 ans après plusieurs années d’inexorable déclin dû à la maladie d’Alzheimer. Mon chagrin me décide : plus que le réconfort d’une soirée entouré de ma compagne et quelques amis, je ressens le besoin de partir me retrouver seul face à une nature dans son expression pure.
Je prends la route du Vigan et la pluie s’invite doucement. Montant dans les hauteurs, je ne tarde pas à être entouré d’un brouillard épais : je suis entré au sein du système nuageux dont le plafond est très bas. Me garant à proximité du parking du lac des Pises, et prenant soin de me placer en-dehors de potentiels ruissellements, je débute une nuit d’isolement, prisonnier dans ma voiture des pluies devenues abondantes. Seul avec mes pensées, je médite, joue de la guitare, écoute le martèlement de l’eau sur le toit, enveloppé des effluves d’une saucisse de Morteau aux lentilles… Mais la fatigue me rattrape et je m’endors, désormais bercé par le son de la pluie.
Je me réveille régulièrement dans la nuit, anxieux de vérifier l’état de la route sous mes pneus, et constate l’intensité de l’épisode, vague après vague de lames lourdes de pluies, espacées brièvement de relâchements que l’on pourrait difficilement qualifier d’accalmies. Parfois le son change et je devine la transformation de l’eau en grésil.
Au petit matin, je profite d’un moment favorable pour sortir et marcher jusqu’au lac, emballé dans mes protections imperméables. Le chemin est régulièrement inondé et j’abandonne rapidement l’espoir de garder mes pieds au sec.
Autour de moi, malgré le soleil levé depuis plusieurs heures, l’épaisseur nuageuse est telle qu’il semble faire nuit.
J’atteins la lisière de la forêt et me rend compte de l’utilité de cette dernière : elle bloquait le vent. Le lac en face de moi, direction sud-ouest, je suis désormais à découvert et prend de plein fouet la puissance venteuse du système. Le lac en témoigne : il est tumultueux, et se perd dans la brume. Je pourrais aussi bien être au bord d’un océan en pleine tempête.
Je m’attelle alors à filmer, plus que photographier, mon environnement. C’est très difficile, la quantité de pluie que je reçois étant démesurée, mais il naît en moi une idée au niveau créatif qui, je l’espère, se concrétisera un peu plus tard dans l’année.
Je reste au milieu de ce tumulte incroyable, chaque accalmie se manifestant par un éclaircissement de la brume. En l’espace de quelques secondes, le paysage réapparaît, avant d’être à nouveau noyé dans les épaisseurs tempétueuses. Je suis obligé de rester dos au vent entre chaque prise de vue, tant la pluie m'assaille sans relâche. Sa puissance est phénoménale et je lutte pour rester debout.
J’évolue ensuite tant bien que mal dans un paysage saturé d’eau, les contours du lac sans cesse apparaissant et disparaissant à ma gauche, fantomatiques.
J’explore la forêt et reviens à ma voiture. Je ressors en début d’après-midi et retourne au lac.
La violence des éléments s’est apaisée, et l’ambiance se transforme progressivement.
Les volumes du ciel réapparaissent, et le paysage immobile, comme n’osant provoquer une nouvelle colère, s’égoutte doucement de son eau abondante.
Enfin, les nuages se déchiquettent et pour la première fois de la journée - à environ 15h ! - j’ai la sensation de véritablement voir la lumière du jour.
Le soleil lui-même réapparaît et illumine d'une brillance nouvelle les volutes désorganisés qui désormais traînent calmement dans le ciel.
Les brumes encore accrochées aux reliefs s'embrasent, et la rage de la nuit passée semble déjà un lointain souvenir.
Je me sens profondément apaisé, la nature ayant déchaîné sa furie puis retrouvé son calme comme au diapason de mon être. Je repars avec la sensation peu rationnelle mais très puissante que la nature m’a communiqué quelque chose d’essentiel, catalysant par sa manifestation physique une catharsis intérieure intense et le deuil de ma grand-mère.
Merci de m’avoir lu, en attendant, je l’espère, de pouvoir à nouveau partager avec vous des histoires d’inspiration face à la puissance de la nature, ce qui, je le crois, est ce qui nous rassemble tous ici.
“En mémoire de ma grand-mère adorée, des Lindt et des Toblerone, de l'escalier en bois, de la chaufferie effrayante, du jardin aux roses.”